Lettre aux entreprises de télécommunications au Cameroun

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A l’attention de la PDG de MTN Cameroon Philisiwe Sibiya, du PDG de NextTel Nguyen Duc Quang, de la PDG d’Orange Cameroun Elisabeth Medou Badang,

Mesdames, Monsieur,

Nous vous adressons aujourd’hui ce courrier pour demander votre assistance dans le rétablissement de la connexion Internet dans les régions du Nord Ouest et du Sud Ouest du Cameroun.

Cela fait un mois qu’Internet est coupé dans les deux régions anglophones du Cameroun, ce qui affecte de manière significative la vie des citoyens. En bloquant l’accès à l’information et aux services, la perturbation de la connectivité empêche l’exercice de droits humains, notamment les libertés d’expression et d’association, et ralenti le développement économique, en portant un coup sérieux aux entreprises innovantes qui dépendent de vos services. Nous estimons que la coupure Internet a déjà coûté 1,39 million de dollars, un chiffre qui ne fait que grimper quotidiennement. [1] Cette estimation ne prend pas en compte les effets à long terme de ce défaut de connectivité, comme la perturbation de la chaine de production, ou encore les importants envois d’argent de la diaspora camerounaise.

En tant que leaders du marché des télécommunications, vous permettez aux camerounais de jouir de leurs droits, et de profiter des avantages économiques, sociaux et culturels de l’Internet global.

Nous vous implorons de rétablir la connexion Internet.

Les coupures Internet perturbent la libre circulation de l’information et posent un voile qui permet à la répression de se déployer, sans regard extérieur. [2] Au Cameroun, la coupure Internet coincide avec l’arrestation de juges, avocats, citoyens anglophones, jugés par le Tribunal militaire pour terrorisme, pour avoir exprimé le souhait d’un retour au fédéralisme.

Les coupures Internet — au cours desquelles les gouvernements ordonnent la suspension ou la réduction de la bande passante Internationale, généralement en période électorale ou de manifestations — ne doivent pas être banalisées.

Justifiées par des raisons d’ordre public, les coupures Internet au contraire coupent l’accès à des informations vitales, empêchent les services financiers de fonctionner, représentent un frein pour les services d’urgence, plongeant ainsi des sociétés entières dans la peur, et déstabilisant la capacité d’Internet à soutenir les PME et à booster l’économie locale. En outre, une étude du de l’Institut Brookings publiée en 2016, démontre que les coupures Internet ont coûté 2.4 milliards de dollars à l’économie globale. [3]

La coupure Internet imposée aujourd’hui  dans les territoires anglophones frappera durement l’économie digitale naissante du Cameroun, dont les fleurons se trouvent aujourd’hui dans la Silicon Mountain, à Buéa. [4] Elle nuit également à la capacité des journalistes et des médias de fournir des informations vitales aux citoyens, ce qui compromet leur droit de recevoir et de communiquer des informations.

Droit International

Un nombre croissant de décisions émanant d’institutions Internationales considèrent que les coupures Internet violent le droit international.

Le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies s’est exprimé fermement contre les coupures Internet. Durant sa 32eme session, en juillet 2016, le Conseil a adopté par consensus une résolution sur la liberté d’expression et Internet, dans un langage clair sur les coupures Internet. [5] En outre, la commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples a déclaré, dans sa Résolution de Novembre 2016 sur la liberté d’expression et d’information sur Internet en Afrique, qu’elle était « concernée par la pratique de plus en plus courante auprès des États Parties d’interrompre ou limiter l’accès aux services de télécommunications, tels qu’Internet, les réseaux sociaux et services de messagerie instantanée, en période électorale,» affirmant ainsi les principes dégagés dans la Déclaration Africaine des droits et libertés du Net. [6]

Nous avons clairement informé le Gouvernement du Cameroun de sa responsabilité de protéger les droits humains, et rétablir la connexion Internet. [7]

Le Rapporteur spécial de l’ONU pour la liberté d’expression, David Kaye, a également publié une déclaration le 10 février 2017, dans laquelle il rappelle qu’une « coupure Internet de cette ampleur  viole le droit international – non seulement elle supprime le débat public, mais prive également les camerounais de l’accès à des services essentiels et à des ressources de base. ». Le Rapporteur Spécial appelle les autorités camerounaises à mettre fin à cette « violation évidente de la liberté d’expression. » [8]

Les entreprises aussi ont la responsabilité de respecter les droits humains, et mitiger ou remédier aux effets négatifs qu’elles causent ou contribuent à causer. Selon les principes directeurs de l’ONU pour les Entreprises et les droits humains, que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a unanimement adopté, et que les autorités de l’Union Africaine se sont engagées à soutenir, les entreprises doivent « s’empêcher de violer les droits humains et doivent apporter des solutions aux atteintes aux droits de l’homme dans lesquelles elles sont impliquées. » [9]

Internet a permis des avancées significatives en matière de santé, d’éducation, et de créativité, et il est aujourd’hui essentiel que ces avancées soient aussi observées en matière de participation électorale et d’accès à l’information. En outre, l’UNESCO a déclaré que la diversité linguistique est la pierre angulaire de l’Internet, et que « les locuteurs de langue sous-représentées, ou minoritaires, doivent pouvoir s’exprimer d’une manière culturelle significative, doivent pouvoir créer du contenu culturel dans leur langue, et le partager sur le cyberespace. » [10]

Il est inadmissible que les coupures Internet, dans lesquelles vos entreprises sont impliquées, causent des atteintes sérieuses aux droits humains et au développement économique des régions anglophones du Cameroun.

Bloquer intentionnellement l’accès à Internet des communautés anglophones du Cameroun est mauvais pour vos affaires. La coupure Internet n’était pas votre idée, et ne correspond pas à vos intérêts économiques, mais vous êtes néanmoins impliqués dans ce blocage. Pour ces raisons, nous vous demandons d’indiquer publiquement les mesures que vous prenez pour restaurer l’accès Internet dans le Nord Ouest et le Sud ouest du Cameroun.

Recommandations

Nous vous recommandons de :

  1. Dénoncer publiquement la coupure Internet et les atteintes qu’elle porte à vos clients, ainsi qu’à la réputation et aux intérêts économiques de votre entreprise ;
  2. Détailler le périmètre géographique et la mise en place technique de la coupure Internet au Cameroun ;
  3. Rendre publique la demande du gouvernement camerounais requérant de bloquer l’accès Internet, ou tout autre moyen de pression pour dissimuler cette demande ; et
  4. Repousser et rejeter conjointement la demande du gouvernement, à travers tout moyen légal et politique à votre disposition, afin de restaurer l’accès à Internet.

Les organisations de la société civile signataires, situées au Cameroun et dans le reste du monde, vous remercient par avance de l’attention portée à ces recommandations, et s’engagent à vous assister dans tous vos efforts pour restaurer l’accès à Internet de tous au Cameroun.

Veuillez agréer, Mesdames et Monsieur, l’expression de notre respectueuse considération.

Access Now

African Freedom of Expression Exchange (AFEX)

Africtivistes

Association for Progressive Communications (APC)

Campaign for Human Rights and Development International

Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA)

Committee to Protect Journalists

Internet Without Borders

Paradigm Initiative

PEN America

PEN South Africa

PEN Afrikaans

PEN Eritrea in Exile

PEN Sierra Leone

PEN Uganda

PEN Zambia

PEN Zimbabwe

Ghanaian PEN Centre

Liberia Internet Governance Forum

Adisi-Cameroun

PanAfrican Human rights Defenders Network

Center for Media Research – Nepal

i freedom Uganda Network

Réseau Ouest Africain des Défenseurs des Droits Humains

Cameroon Ô Bosso

Droit au Droit

Société des Amis de Mongo Beti (SAMBE)

[1] http://globalnetworkinitiative.org/sites/default/files/The-Economic-Impact-of-Disruptions-to-Internet-Connectivity-Deloitte.pdf

[2] http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0022343314551398; https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2015/02/24/internet-access-as-a-weapon/

[3] https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/10/intenet-shutdowns-v-3.pdf

[4] http://www.cnn.com/2017/02/03/africa/internet-shutdown-cameroon/

[5] https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2016/06/A_HRC_32_L.20_English-OR-30-June.docx

[6] http://www.achpr.org/sessions/59th/resolutions/362; http://africaninternetrights.org

[7] https://www.apc.org/en/pubs/apc-statement-internet-shutdown-cameroon; http://internetwithoutborders.org/fr/open-letter-to-cameroonian-government-on-internet-connectivity-in-anglophone-regions

[8] http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=21165&LangID=E

[9] www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_EN.pdf

[10] http://www.unesco.org/new/en/communication-and-information/access-to-knowledge/linguistic-diversity-and-multilingualism-on-internet/