À l’attention de Son Excellence Monsieur Faure Essozimna Gnassingbé, Président de la République Togolaise
CC :
- Madame Victoire Tomegah Dogbé, Première Ministre de la République Togolaise,
- Madame Yawa Djigbodi Tségan, Présidente de l’Assemblée Nationale de la République Togolaise,
- Madame Cina Lawson, Ministre de l’Économie Numérique et de la Transformation Digitale de la République Togolaise,
- Monsieur Calixte Batossie MADJOULBA, Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, Togo
- Monsieur Yaovi Galley, Directeur Général de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP)
- Monsieur Pierre-Antoine LEGAGNEUR, Directeur Général du Groupe Togocom
- Monsieur Jean-Marie Noagbodji, Président Directeur Général de Café Informatique et Télécommunication
- Monsieur Younes El Bedraoui, Directeur Général de Etisalat (Moov Africa), Togo
- Monsieur Armand Sato, Directeur Général de Groupe Vivendi Africa (GVA), Togo
- Monsieur Michel Bagnah, Président du Conseil d’Administration, TEOLIS, Togo
Monsieur le Président,
Lors d’événements nationaux importants, la population a besoin d’un accès à Internet ouvert, libre et sécurisé. Durant les élections législatives et régionales prévues au Togo le 29 avril prochain, le Togo doit maintenir l’accès à Internet (#KeepItOn).
Nous, les organisations soussignées et membres de la coalition #KeepItOn — un réseau mondial de plus de 300 organisations de 105 pays œuvrant à mettre fin aux coupures d’Internet — vous appelons, Monsieur le Président, à vous engager publiquement à soutenir le maintien d’un accès Internet libre, ouvert et sécurisé avant, pendant et après les élections législatives et régionales.
Alors que les citoyens du Togo se préparent à voter, votre gouvernement doit adopter, mettre en œuvre et faire respecter des mesures garantissant à tous un accès à l’information, la liberté d’expression et la libre association ou réunion, que ce soit en ligne ou hors ligne.
Dans une société démocratique, Internet et les plateformes de médias sociaux numériques contribuent à améliorer la gouvernance participative, à faire progresser l’inclusion démocratique et la transparence électorale, et permettent aux gens d’exercer leurs droits fondamentaux — tous principes inscrits dans la Constitution Togolaise. Les plateformes en ligne facilitent la communication publique sur les processus électoraux et les candidats des partis politiques, et permettent aux électeurs de tenir les gouvernements responsables de leurs actes. L’accès à Internet facilite également le travail essentiel des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des observateurs électoraux qui surveillent, documentent et rapportent sur les processus électoraux.
Couper l’internet est mauvais pour les citoyens et pour les affaires
Les coupures d’Internet et la violence vont souvent de pair. Couper l’internet pendant des conflits, des manifestations ou des urgences de santé publique restreint la disponibilité d’informations vitales, opportunes et potentiellement sauvegardant des vies, ainsi que l’accès aux services d’urgence. Cela peut exacerber les tensions existantes, instiguer ou dissimuler la violence et les violations des droits humains, ou propager de la désinformation. Les coupures d’Internet affectent également les moyens de subsistance des personnes et des économies entières, coûtant des milliards de dollars à des pays, entreprises et organisations publiques qui dépendent de l’économie numérique. Il faut noter qu’une coupure journalière pourra coûter près de 352 millions de Francs CFA au Togo.
Les coupures enfreignent aux lois nationales et internationales
Imposer des coupures d’Internet viole les droits humains fondamentaux garantis par les cadres nationaux, régionaux et internationaux, y compris la Constitution togolaise (Articles 21, 25, 26 & 27), la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifiés par le Togo le 24 mai 1984. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, en tant qu’interprète officiel du PIDCP, a souligné dans son Commentaire général n° 37 que « les États parties ne doivent pas, par exemple, bloquer ou entraver la connectivité Internet en relation avec des rassemblements pacifiques ».
De plus, le Secrétaire Général de l’ONU et d’autres experts ont affirmé que « les coupures généralisées de l’internet et les blocages et filtres génériques des services sont considérés par les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies comme une violation du droit international des droits de l’homme ».
Les opérateurs de télécommunications doivent respecter les droits humains et fournir un accès à des recours
Sous les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme (PDNU) et les Lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises multinationales, les entreprises sont responsables de prévenir ou d’atténuer les dommages potentiels aux droits humains qu’elles peuvent causer ou auxquels elles peuvent contribuer, et de fournir des recours pour tout dommage survenu. Les fournisseurs de services Internet (FAI) opérant au Togo – incluant TogoCom, Café Informatique et Télécommunication, Etisalat (Moov Africa) Togo, Groupe Vivendi Africa (CanalBox), TEOLIS, et d’autres FAI locaux pertinents — doivent fournir un accès à internet de qualité, ouvert et sécurisé ainsi qu’aux outils de communication numérique.
Les coupures d’internet ne devraient jamais devenir la norme, que ce soit au Togo ou ailleurs. Nous encourageons les entreprises au Togo à intégrer les Principes de l’ONU et les Lignes directrices de l’OCDE lorsqu’elles répondent aux demandes de censure et de perturbation du réseau, dans tout marché où elles opèrent.
Histoire des coupures d’internet au Togo
L’accès à Internet fut suspendu à deux moments distincts en septembre 2017 durant les vastes manifestations qui ont commencé le 19 août 2017, demandant un retour à la Constitution de 1992 et la limitation du nombre de mandats présidentiels. Ces coupures d’Internet ont également été observées durant les élections présidentielles de 2020. Ces interruptions, justifiées par le gouvernement pour maintenir l’ordre public et empêcher la diffusion de fausses informations, ont été largement critiquées aux niveaux national et international comme des violations de la liberté d’expression et des tactiques de répression politique.
Suite la coupure en 2017, le journaliste Houefa Akpedje Kouassi et sept organisations de la société civile togolaise, dont Amnesty International Togo, Access Now et l’Institut des médias pour la démocratie et les droits de l’homme (IM2DH) ont depose une requete aupres de la Cour de justice de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) En décembre 2018.
Le 25 juin 2020, la Cour a déclaré que les interruptions d’accès à Internet survenues au Togo pendant les protestations de septembre 2017 contre le gouvernement étaient contraires à la loi et constituaient une atteinte à la liberté d’expression. La Cour a en outre exigé que le gouvernement togolais adopte des mesures adéquates, incluant la mise en place de législations et de politiques respectueuses des droits humains, pour empêcher que de telles actions se répètent. Elle a également ordonné le paiement de dommages de 2 000 000 de francs CFA (environ 3 583 USD) aux plaignants.
Nos recommandations:
Pour le gouvernement Togolais:
Nous vous appelons à :
- Assurer que, à travers tout le Togo, l’internet, les plateformes de médias sociaux numériques et autres canaux de communication numériques restent ouverts, accessibles et sécurisés avant, pendant et après les élections, y compris durant tout mouvement civique lié ;
- Eviter de couper, de ralentir ou de bloquer l’accès à internet, ou d’imposer toute restriction future illégale sur l’accès à internet et les télécommunications ;
- Prendre des mesures adéquates, incluant la mise en place de législations et de politiques respectueuses des droits qui s’alignent et se conforment aux obligations internationales du Togo en matière de droits humains.
Pour les opérateurs de téléphonies mobiles (OTM) et fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) :
- Conserver les preuves et divulguer les demandes du gouvernement vous demandant de bloquer ou d’interférer de façon à bloquer ou ralentir l’accès à internet, ou de dissimuler leurs demandes ;
- Divulguer publiquement les détails de toute perturbation d’internet ou de services en ligne, y compris le moment où elles se sont produites, leur état pendant la coupure, et leur rétablissement ;
- Consulter et coordonner avec la société civile et les entreprises pairs pour résister aux exigences de censure gouvernementale, ainsi que publier régulièrement des rapports de transparence pour protéger l’accès à un internet ouvert et sécurisé et pour dissuader de futures ordonnances de coupure.
Veuillez nous informer de comment la coalition #KeepItOn peut vous soutenir dans le maintien d’un internet libre, ouvert, sécurisé, inclusif et accessible pour tous au Togo.
Cordialement,
Signatories:
- Access Now
- Africa Freedom of Information Centre (AFIC)
- Africa Media and Information Technology Information Technology Initiative (AfriMITI)
- African Freedom of Expression Exchange (AFEX)
- AfricTivistes
- Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA)
- Digital Rights Kashmir
- Human Rights Journalists Network Nigeria
- International Press Institute
- Internet Society Togo Chapter
- KICTANet
- Kijiji Yeetu
- Life campaign to abolish the death sentence in Kurdistan
- Media Foundation for West Africa (MFWA)
- Miaan Group
- Office of Civil Freedoms
- ONG Women Be Free
- OONI (Open Observatory of Network Interference)
- Open Observatory of Network Interference (OONI)
- OpenNet Africa
- Organization of the Justice Campaign
- Paradigm Initiative (PIN)
- YODET
- Zaina Foundation