A l’attention de son Excellence Brice Clotaire Oligui Nguema, Président de la transition de la République Gabonaise,
CC : Laurence Ndong, Ministre de la communication et des médias, porte parole du gouvernement; Gen. Bonjean Frederik Mbaza, Ministre de transition de l’économie numérique et des nouvelles technologies de l’information; Hermann Immongault, Ministre de transition de l’intérieur et de la sécurité; Célestin Kadjidja, Président de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP); Germain Ngoyo Moussavou, Président de l’Haute Autorité de la Communication (Le HAC); Aba’a Owono, président de la Cour Constitutionnelle; Autorité de Contrôle des Élections et du Référendum (ACER); Abderrahim Koumaa, directeur général de Gabon Télécom; et Antoine Pamboro, directeur général, Airtel Gabon;
A travers le monde, les gouvernements utilisent les coupures d’Internet pour influencer les résultats des élections et nuire à la démocratie participative. Cette pratique porte atteinte aux droits humains; nous ne pouvons pas la laisser se banaliser. Lors de cette élection, nous exhortons la République Gabonaise à #KeepItOn.
Nous, les organisations soussignées et membres de la coalition #KeepItOn — un réseau mondial de plus de 345 organisations de 106 pays œuvrant pour mettre fin aux coupures d’Internet — vous exhortons, Monsieur le Président de transition de la République Gabonaise, Brice Clotaire Oligui Nguema, de veiller à ce qu’Internet, les plateformes de réseaux sociaux et tous les autres canaux de communication soient ouverts, sécurisés et accessibles à tous avant, pendant, et après les prochaines élections générales du pays qui auront lieu le 12 avril.
Alors que le peuple gabonais se prépare à voter, il est essentiel que votre gouvernement adopte et donne la priorité à des mesures pour garantir que le processus électoral soit inclusif, libre et équitable en fournissant un accès sans entrave à l’information et aux possibilités de liberté d’expression — à la fois hors ligne et en ligne.
Dans les sociétés démocratiques, l’Internet et les plateformes de réseaux sociaux jouent un rôle essentiel pour permettre et renforcer la gouvernance participative et la transparence. Ils offrent un espace pour communiquer, participer au débat public, rechercher des informations sur les processus électoraux et les candidats, rendre compte et documenter les événements et les résultats, et tenir les gouvernements responsables de leurs actions.
L’histoire des coupures d’Internet au Gabon
Des militants ont documenté plusieurs incidents de coupures d’internet au Gabon, le plus récent étant lieu pendant les élections de 2023. À la fermeture des bureaux de vote le 26 août, les autorités ont coupé l’accès à internet, même après avoir proclamé Ali Bongo vainqueur. L’accès à internet n’a été rétabli que le 30 août, après un coup d’État militaire qui a annulé les résultats des élections et renversé le gouvernement Bongo.
Avant cela, en 2021, Access Now et la coalition #KeepItOn ont documenté des rapports du ralentissement d’accès à Internet lors des manifestations liées aux mesures gouvernementales en réponse au COVID. En 2019, les autorités gabonaises ont coupé l’accès à Internet et aux services de radiodiffusion à la suite d’une tentative de coup d’État. Enfin, en 2016, le gouvernement a coupé l’accès à Internet pendant des manifestations, des affrontements, des pillages et des arrestations dans la capitale Libreville, après la réélection précédente du président Ali Bongo.
Les coupures d’Internet portent atteinte aux droits humains
La recherche montre que coupures d’Internet et violence vont de pair. Couper Internet pendant des crises coupe l’accès à des informations essentielles, opportunes et vitales, ainsi qu’aux services d’urgence. Les coupures d’Internet violent les droits humains fondamentaux tels que la liberté d’expression et d’opinion, l’accès à l’information, la liberté de la presse et la liberté de réunion pacifique. En perturbant le flux d’informations, les coupures exacerbent les tensions existantes, suscitent ou dissimulent potentiellement des violences et des violations des droits humains perpétrées par des acteurs étatiques et non étatiques, et favorisent la propagation de la désinformation.
Les coupures d’Internet rendent extrêmement difficile le travail des journalistes et des médias, privant ainsi les personnes à l’intérieur et à l’extérieur du pays de l’accès à des informations crédibles. Les défenseurs des droits humains, les observateurs électoraux, les acteurs de la société civile et d’autres parties prenantes comptent sur Internet pour surveiller et rendre compte des élections, facilitant ainsi la crédibilité, la transparence et l’ouverture du processus.
De plus, imposer des coupures d’Internet interfère avec les moyens de subsistance des gens et coûte des milliards de dollars aux pays, aux entreprises, aux sociétés, et aux institutions publiques et privées.
Les coupures d’Internet contreviennent aux lois
La constitution de la République gabonaise ainsi que les cadres régionaux et internationaux dont le Gabon est signataire tels que la loi juridiquement contraignante, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples prévoient tous la protection et la promotion des droits à la liberté d’opinion et d’expression, de réunion et d’accès à l’information, tant hors ligne qu’en ligne. En mars 2024, face à la multiplication des coupures d’internet liées aux élections en Afrique, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a adopté la résolution 580 de 2024, reconnaissant l’importance de la connectivité internet pour la tenue d’élections libres, équitables et crédibles, principe fondamental de la démocratie. La résolution exhorte notamment les États parties de l’Union africaine à garantir un accès internet ouvert et sécurisé avant, pendant et après les élections, « notamment en veillant à ce que les fournisseurs de services de télécommunications et internet prennent les mesures adéquates pour assurer un accès sans restriction ni interruption ». Elle appelle également spécifiquement les États membres de l’Union africaine à s’abstenir de toute coupure d’internet avant, pendant et après les élections.
De plus, l’ONU a affirmé que, « les coupures générales d’Internet ainsi que le blocage et le filtrage génériques des services sont considérés par les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies comme une violation du droit international des droits de l’homme. »
Les entreprises de télécommunications doivent respecter les droits de l’homme
En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et le Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, des sociétés et entreprises de télécommunications ont une responsabilité de respecter les droits de l’homme, prévenir ou atténuer les préjudices potentiels et fournir réparation aux préjudices qu’ils causent ou auxquels ils contribuent.
Les opérateurs télécoms opérant au Gabon — dont Moov Gabon, Gabon Télécom et Airtel Gabon — ont la responsabilité de fournir un accès de qualité, ouvert et sécurisé à Internet et aux outils de communication numérique. Les coupures d’Internet — que ce soit au Gabon ou dans d’autres pays — ne doivent jamais devenir la nouvelle norme, et nous encourageons les entreprises gabonaises à intégrer les principes directeurs des Nations Unies et les lignes directrices de l’OCDE pour répondre aux demandes de censure et de perturbation du réseau sur tous les marchés où elles opèrent.
Nos recommandations
Avant, pendant et au-delà des prochaines élections, nous vous exhortons à:
- Assurer publiquement au peuple gabonais qu’Internet, y compris les réseaux sociaux et autres plateformes de communication numérique, resteront ouvert, accessible et sécurisé dans tout le Gabon;
- Ordonner aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) de garantir un accès Internet de haute qualité, sécurisé et sans restriction; et
- Diriger aux fournisseurs d’accès Internet d’informer les internautes de toute perturbation potentielle et de prendre toutes les mesures raisonnables pour remédier à toute perturbation identifiée susceptible d’avoir un impact sur la qualité du service qu’ils reçoivent.
Veuillez nous faire savoir comment la coalition #KeepItOn peut vous aider à maintenir un accès Internet ouvert, équitable et accessible pour tous.
Signataires :
- Access Now
- Activate Rights
- Afia-Amani Grands-Lacs
- Africa Internet Rights Alliance (AIRA)
- Africa Open Data and Internet Research Foundation (AODIRF)
- African Freedom of Expression Exchange (AFEX)
- AfricTivistes
- Bloggers Association of Kenya (BAKE)
- Center for Media studies and Peacebuilding (CEMESP-Liberia)
- Committee to Protect Journalists (CPJ)
- Common Cause Zambia
- Computech Institute
- Digital Access
- Digital Grassroots (DIGRA)
- Digital Woman Uganda
- FORUMVERT
- Human Rights Foundation
- Human Rights Journalists Network Nigeria
- International Press Centre (IPC)
- Internet Governance Tanzania Working Group (IGTWG)
- Internet Society chapitre de la RD Congo
- JCA-NET(Japan)
- Jonction, Senegal
- KICTANet
- Kijiji Yeetu Africa
- Life campaign to abolish the death sentence in Kurdistan
- Media Foundation for West Africa (MFWA)
- Media Rights Agenda
- Office of Civil Freedoms
- OONI (Open Observatory of Network Interference)
- Opening Central Africa Coalition
- Organization of the Justice Campaign
- Paradigm Initiative (PIN)
- Penplusbytes
- Radio Rakambia TLS
- Reclaiming Spaces Initiative Uganda
- Robert F. Kennedy Human Rights
- Sassoufit collective
- SMEX
- Tech & Media Convergency (TMC)
- Tournons La Page
- Ubunteam
- West African Digital Rights Defenders Coalition
- Wikimedia Community Usergroup Uganda
- Women Empower and Mentor All CBO (WEmpower)
- Women of Uganda Network (WOUGNET)
- YODET
- Youths and Environmental Advocacy Centre (YEAC-Nigeria)
- Zaina Foundation