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31 juillet 2024
Honorable Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, Président de la Mauritanie
Cc : M. Mohamed Abdallah Ould Louly, ministre de la transformation numérique, de l’innovation et de la modernisation de l’administration.
Nous, les organisations soussignées et les membres de la coalition #KeepItOn, vous demandons instamment de vous engager publiquement à garantir un accès sans entrave à Internet, aux plateformes de réseaux sociaux et à d’autres canaux de communication pour le peuple mauritanien tout le temps, y compris pendant les moments d’intérêt national, et en particulier avant, pendant et après l‘investiture présidentielle du 1er août. Cet engagement est crucial pour respecter les droits inscrits dans la Constitution mauritanienne et dans les engagements internationaux du pays.
En réponse aux manifestations qui ont suivi les élections du 29 juin 2024, dont les résultats ont confirmé que vous resteriez au pouvoir pour un second mandat, les autorités ont interrompu l’internet mobile pendant 22 jours, du 2 juillet au 24 juillet. Les fournisseurs d’accès à Internet Mattel et Chinguitel ont cessé leurs services, coupant l’accès à des informations et communications essentielles pour plus de 250 000 personnes. Même si Mattel avait brièvement rétabli ses services la semaine suivante, elle les a coupé de nouveau à minuit le dimanche 17 juillet. Bien que le plus grand fournisseur, Mauritel, ne semble pas avoir été touché, l’impact sur la population mauritanienne a été sévère.
Le porte-parole du gouvernement, M. Nani Ould Chrougha, aurait tenté de justifier la coupure d’Internet comme nécessaire pour des raisons de sécurité. Cependant, la coupure d’Internet est une mesure disproportionnée, inefficace pour réprimer la violence ou assurer la sécurité des personnes, et qui a souvent l’effet inverse. Dans une période où l’intégrité des élections a été remise en cause et où des personnes ont perdu la vie lors des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité, l’accès à l’information est absolument vital pour la sécurité des personnes, ainsi que pour la participation au discours public et la lutte contre la diffusion de fausses informations.
Malgré vos engagements à améliorer l’accès à l‘information et la liberté de la presse, les coupures d’Internet – qui compromettent gravement ces deux aspects – ont été une tache régulière sur le bilan des autorités mauritaniennes depuis que vous avez été élu pour la première fois en 2019. À la suite de ces élections, les connexions de données mobiles et de lignes fixes ont été interrompues en plein milieu des contestations des candidats de l’opposition. En 2023, un blocage national a visé l’accès à l’internet mobile après deux jours de protestations généralisées déclenchées par l‘assassinat d’un jeune homme au poste de police de Sebkha. Plus tôt dans la même année, l’accès à l’internet mobile a été brusquement coupé à la suite de l’évasion de quatre prisonniers d’une prison située à Nouakchott.
Il s’agit d’une tendance inquiétante qui va à l’encontre des objectifs déclarés de votre gouvernement et qui viole les obligations de la Mauritanie en vertu du droit national et international. L’interruption de l’accès à l’internet et aux applications mobiles est coûteuse et nocive aux communautés et aux entreprises, et viole les libertés fondamentales d’expression et d’accès à l’information. Ces actions sont en contradiction avec les engagements internationaux de la Mauritanie, notamment ceux qui découlent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Mauritanie a ratifié en 2004. En vertu de l’article 19 du PIDCP, le pays a l’obligation de sauvegarder les droits de la population à former et à exprimer librement ses opinions par tout moyen de communication de son choix. Cette liberté fondamentale permet également l’engagement politique à travers les libertés de réunion, d’association et de participation aux affaires publiques et aux élections en vertu des articles 21, 22 et 25 du PIDCP. Pendant votre mandat à la présidence de l’Union africaine à partir de février 2024, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté la résolution sur les censures d’Internet et les élections en Afrique, qui souligne la responsabilité des États de garantir un accès ininterrompu à Internet avant, pendant et après les élections et rappelle aussi l’importance de cette orientation pour la Mauritanie, ainsi que pour d’autres États qui subiront des élections en 2024. Cette résolution s’appuie sur la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique – un accord négocié en partie lors de réunions techniques à Nouakchott – qui stipule que les États “ne tolèrent pas et ne s’impliquent pas dans l’interruption de l’accès à Internet et à d’autres technologies numériques ciblant des segments de la population ou une population toute entière”.
Pendant les cycles électoraux, les manifestations pacifiques, les périodes de troubles et tous les autres moments d’importance nationale, les autorités doivent garantir et permettre la libre circulation de l’information. Couper l’accès aux informations vitales et aux plateformes de communication met les gens en danger et compromet la jouissance de tous les autres droits de l’homme, qu’il s’agisse de l’éducation, du travail, des soins de santé ou d’autres services publics, ou encore de la liberté d’expression et de rassemblement pacifique. Les conséquences à court et à long terme d’une seule perturbation sont graves, et lorsqu’un gouvernement adopte une pratique de perturbations répétées, ces préjudices sont amplifiés, créant un environnement d’incertitude et d’instabilité.
Nous lançons donc un appel au gouvernement mauritanien pour :
- S’engager publiquement à garantir une connexion accessible, fiable, ouverte et sûre à l’internet et à tous les services de communication pour tous les citoyens du pays, à tout moment ;
- En particulier, prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir un accès ininterrompu aux services internet et aux plateformes de communication en ligne avant, pendant et après l’investiture présidentielle du 1er août ;
- Adopter les réformes législatives et réglementaires nécessaires pour garantir le respect de ces engagements ;
- Fournir une transparence totale concernant les coupures d’Internet imposées par votre gouvernement dans le passé, y compris une explication écrite dûment motivée, des détails sur l’autorité qui a ordonné la coupure et sur la manière dont elle a été mise en œuvre, afin de permettre au peuple mauritanien d’obtenir des recours efficaces ;
- Exiger des fournisseurs de services de télécommunications et d’internet, ainsi que des autres plateformes concernées, qu’ils fournissent à leurs utilisateurs une transparence totale, une notification préalable et des explications dûment motivées en cas de perturbation, y compris celles ordonnées par le gouvernement.
Au début de ce nouveau mandat présidentiel, nous vous demandons instamment d’adopter une position claire contre toute utilisation future des coupures d’Internet en Mauritanie. La réforme sur cette question est une base nécessaire sur laquelle d’autres efforts visant à renforcer la liberté de la presse, à réduire la fracture numérique, à améliorer l’accès à l’éducation et à l’emploi, et à autonomiser les femmes, les jeunes et d’autres communautés vulnérables peuvent s’appuyer. Le gouvernement mauritanien a le devoir de veiller à ce que les gens puissent accéder à l’internet et aux services de communication lorsqu’ils en ont le plus besoin.
Signataires
- Access Now
- AfricTivistes
- Bloggers Association of Kenya (BAKE)
- Body & Data
- Computech Institute
- Electronic Frontier Foundation
- Human Rights Journalists Network Nigeria
- Internet Sans Frontières
- JCA-NET(Japan)
- Jonction, Sénégal
- Life campaign to abolish the death sentence in Kurdistan
- Organization of the Justice Campaign
- Paradigm Initiative (PIN)
- PEN America
- SMEX
- The Nubian Rights Forum
- Ubunteam
- West African Digital Rights Defenders coalition
- YODET
- Zaina Foundation