Communiqué de Solidarité et de soutien Non aux manœuvres dilatoires du sacré contre la liberté d’expression

Ce communiqué est également disponible en Arabe.

Tunis, 11 mai 2020

Les associations et organisations membres du Collectif Civil pour les libertés individuelles, les associations et organisations de défense des droits humains et les organisations et associations signataires, attachés à la liberté de conscience et à la liberté d’expression en tant que partie intégrante des droits humains fondamentaux, expriment leur solidarité pleine et entière à la bloggeuse Emna CHARGUI face aux poursuites pénales déclenchées abusivement contre elle à propos de l’aberrante affaire «  du verset  du CORONA virus »  d’une part et face aux insultes, intimidations  et menaces proférées contre elle sur les réseaux sociaux d’autre part.

Le 6 mai 2020, la bloggeuse Emna CHARGUI a comparu devant le ministère public auprès du tribunal de première instance de Tunis qui, après lui avoir fait passer un interrogatoire en l’absence de ses avocat.e.s, a décidé, de la maintenir en liberté provisoire tout en  transférant son dossier à la Sixième chambre du même tribunal et en fixant le jour de l’audience au 28 mai 2020. Suite à la publication, quelques jours auparavant, d’un statut satirique sur la pandémie sur son compte Facebook, Emna CHARGUI a été accusée d’avoir commis,  sur la base des articles 52 et 53 du décret-loi n ° 115-2011 sur la liberté de la presse, le délit « d’incitation à la haine entre « les genres, les religions ou les populations, en appelant à la discrimination et en utilisant des procédés hostiles ou à la violence ou à la propagation d’opinions fondées sur la ségrégation raciale » ou .en « portant atteinte à l’un des rites religieux »  

Compte tenu de ce qui précède, les  associations et les organisations signataires du présent communiqué déclarent  que : 

1 –La procédure engagée par le ministère public de sa propre initiative, est d’autant plus contestable que l’article 102 de la Constitution du 27 janvier 2014 fait de  la “magistrature  un pouvoir indépendante qui garantit (…) la protection des droits et des libertés”, et que “le ministère public en fait partie  selon son article 115.

Il aurait été plus juste pour lui, dans cette affaire, de protéger la bloggeuse des insultes et des appels à la violence contre elle. Il aurait été plus judicieux pour lui de ne pas dédouaner et légitimer par son intervention les actes attentatoires à la dignité et à l’intégrité physique des personnes qui expriment des opinions et des convictions à contre courant  de la culture et de pensée dominantes. 

2 – Il est surprenant que l’accusation n’ait pas respecté les exigences de l’article 6 de la Constitution tunisienne, qui garantit la liberté de conscience et de croyance, y compris la liberté religieuse et le droit de critiquer les religions comme  d’exprimer ses convictions  sans risque de sanctions ou d’ exposition à aucune menace ou atteinte à sa dignité.

Les pratiques judiciaires auxquelles beaucoup de juges – ministère public, juge d’instruction ou  de jugement,  se sont adonnés des décennies durant, sont désormais incompatibles avec les  nouvelles exigences constitutionnelles  de libertés tant celles énoncées par l’Art 21 garantissant « aux citoyens et aux citoyennes les droits et libertés individuelles et publiques …»  que par l’article 32 garantissant la liberté d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication. 

Ces pratiques sont en outre contraires aux dispositions des traités relatifs aux droits humains, dument ratifiés par la Tunisie, dont notamment, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans son article 19.  Les restrictions à la liberté d’expression et de création , y compris celles qui affectent les aspects religieux, sont incompatibles avec les normes des instances internationales chargées d’assurer la bonne interprétation et la mise en œuvre des pactes internationaux relatifs aux droits et libertés. En ce sens, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, dans  sa résolution 16/18 de mars 2011, n’a pas considéré « l’atteinte à la religion » comme un crime, mais plutôt comme faisant partie de la liberté d’expression. Par conséquent, il n’est pas permis aux États membres de la limiter, sous aucun prétexte, pas même sous le prétexte de  l’ordre public. De sorte que ce qui a été fait par les juges en Tunisie est une pratique judiciaire contraire à  la résolution n° 16/18 rendant passible de sanctions l’Etat tunisien dans les cas où une plainte est portée devant les organes de contrôles des traités. 

3- Nous dénonçons les manœuvres d’intimidation qui ciblent les personnes en les convoquant par voie d’autorités judiciaires et policières, en les interrogeant et en les traduisant devant les tribunaux dans le but de les punir simplement de leur audace  à exercer l’une quelconque des libertés individuelles reconnues, transformées  paradoxalement en délit. La simple comparution devant les tribunaux, même si elle ne préjuge pas de la culpabilité de l’accusée, est chose effroyable. Cette instrumentalisation   engendre la peur parmi les Tunisiens et les Tunisiennes de payer le prix fort et peut les décourage d’exercer leurs libertés individuelles, en particulier la liberté d’expression.

4-  Nous  déclarons  qu’il  faut en  finir avec les discours de certains professionnels  des médias disqualifiant  et dévalorisant la liberté d’expression comme un article d’importation occidentale chaque fois qu’il s’agit d’une question ayant trait au religieux.  Jugée incompatible à une identité prescrite,   la liberté d’expression  est  objet continu de leurs manœuvres dilatoires et outrancières dont l’objectif est de  semer la confusion et le trouble autour de son statut 

Par conséquent, et compte tenu de ce qui précède, les associations signataires renouvellent l’expression de leur  solidarité avec la bloggeuse Emna CHARGUI. Elles lui apportent  soutien comme pour chaque voix libre sans restrictions … Elles appellent les juges à respecter la Constitution, sa lettre et son esprit,  à  appliquer la loi sans excès de pouvoir. Elles  appellent toutes et tous à faire prévaloir la raison et le bon sens.

Les associations  et organisations signataires : 

  • La ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH). 
  • L’association Beity.
  • L’association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). 
  • L’association tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI). 
  • L’association Al Bawsala, 
  • Article 19.
  • Access Now
  • Association Alweni.
  • L’association By La7wem.
  • L’association CALAM.
  • L’Association Arts et Cultures des deux Rives (ACDR).
  • L’Association Citoyenneté, Développement, Cultures & Migrations Des Deux Rives.
  • L’association Tunisienne pour la prévention positive (ATP+).
  • L’association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD).
  • L’association Free Sight.
  • L’association Vigilance pour la démocratie et l’Etat civique. 
  • L’association tunisienne pour la défense des valeurs universitaires. 
  • L’association histoire et mémoire commune pour la liberté et la démocratie. 
  • L’organisation 10/23 pour la promotion du processus démocratique.
  • Le centre d’appui à la transition démocratique et aux droits humains (DAAM). 
  • L’Association Perspectives El 3amel Ettounsi.
  • L’association tunisienne d’action culturelle (ATAC). 
  • L’association de promotion du droit à la différence (ADD). 
  • L’association tunisienne des études sur le genre.
  • L’association Venus. 
  • ATL/MST et du Sida Tunis.
  • La coalition tunisienne pour l’abolition de la peine de mort. 
  • Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie. 
  • Damj, l’association tunisienne pour la justice et l’égalité.  
  • La Fondation Ahmed Tlili pour la culture démocratique.
  • Groupe Tawhida Ben Chikh.
  • Initiative Mawjoudin. 
  • La ligue des écrivains libres. 
  • Observatoire National pour la Défense du Caractère Civil de l’Etat.
  • L’Organisation Mondiale Contre la Torture.
  • Le réseau Euromed droits. 
  • L’organisation Avocats sans frontières.
  • Human Rights Watch.