Lettre ouverte sur le maintien de l’Internet ouvert et sécurisé au Bénin

À l’attention de: M. Flavien Bachabi,
L’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et de la Poste (ARCEP-BENIN)

Cc: Mme Aurelie Adam Soule Zoumarou,
Ministère de l’économie Numérique et de la Communication

Objet : Blocage des réseaux sociaux au Bénin

Nous vous écrivons afin de vous demander de maintenir la connexion internet et débloquer l’accès aux réseaux sociaux au Bénin. Selon des informations qui nous ont été transmises, votre gouvernement impose un blocage des plateformes de réseaux sociaux. Au nom de plus de 190 organisations de plus de 60 pays qui composent la coalition #KeepitOn, et des autres organisations signataires, nous vous demandons de ne pas bloquer Internet.

Les coupures d’Internet nuisent aux droits de l’homme et à l’économie.

Les recherches récentes montrent que coupures d’Internet et la violence vont de pair. [1], [2]. Celles-ci perturbent la libre circulation de l’information et posent un voile opaque sur d’éventuelles violations des droits humains. Les journalistes et les professionnels des médias ne peuvent pas contacter leurs sources, rassembler des informations ou archiver des reportages sans outils de communication numériques [3]. Injustifiées quelqu’en soient les raisons, les coupures d’Internet empêchent l’accès à des informations vitales, au commerce électronique et aux services d’urgence, plongeant des communautés entières dans la peur. Elles perturbent également le bon fonctionnement des petites entreprises et le développement économique. Une étude réalisée en 2016 par la Brookings Institution, un groupe de réflexion de premier plan, a révélé que les coupures Internet ont coûté 2,4 milliards de dollars à l’économie mondiale entre 2015 et 2016 [4].

L’Internet ouvert favorise la créativité, l’innovation et l’accès sans précédent à l’information et à d’autres types d’opportunités sociales, économiques, culturelles et politiques à travers le monde. Les moyens techniques utilisés pour bloquer l’accès à l’information en ligne compromettent souvent de manière dangereuse la stabilité et la résilience de l’Internet. Les coupures d’Internet ne doivent pas devenir la norme.

Nous estimons que le blocage actuel des réseaux sociaux coûtera à la République du Bénin, plus de 600 000 dollars par jour en coûts économiques directs, et empêchera la jouissance par les citoyens de leurs droits économiques, sociaux et culturels. [5]

Les coupures d’Internet violent le droit international

Un nombre croissant de décisions et de résolutions indiquent que des interruptions intentionnelles d’Internet constituent une violation du droit international. Le Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée générale des Nations Unies ont adopté, par consensus, plusieurs résolutions condamnant sans ambiguïté les coupures d’internet et d’autres restrictions similaires à la liberté d’expression en ligne. Par exemple, dans sa résolution A / HRC / RES / 32/13, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies:

Condamne sans équivoque les mesures visant à empêcher ou à perturber intentionnellement l’accès à ou la diffusion d’informations en ligne, en violation du droit international des droits de l’homme, et appelle tous les États à s’abstenir et à mettre fin à ces mesures.

Des experts des Nations Unies, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Organisation des États américains (OEA) et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ont déclaré que les coupures d’Internet ne pouvaient jamais être justifiées au regard du droit international des droits de l’homme, y compris en période de conflit. [6]

En novembre 2016, la CADHP a adopté une résolution sur le droit à la liberté d’information et d’expression sur Internet en Afrique, qui a exprimé sa préoccupation face à «la pratique émergente des États d’interrompre ou de limiter l’accès aux services de télécommunication tels qu’Internet, les réseaux sociaux et les services de messagerie, notamment pendant les élections. ”CADHP / Rés. 362 (LIX).

Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, interprète officiel du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, souligne dans l’Observation générale no. 34 que les restrictions à la liberté d’expression en ligne doivent être strictement nécessaires et proportionnées pour atteindre un objectif légitime. [7] Les coupures Internet ont un impact disproportionné sur tous les utilisateurs et limitent inutilement l’accès à l’information et aux communications des services d’urgence, à des moments cruciaux. Les coupures ne sont ni nécessaires, ni efficaces pour atteindre un objectif légitime, car elles sèment souvent la confusion et encouragent plus de gens à se joindre aux manifestations publiques.

Nous vous appelons respectueusement à

  • Veiller à ce que l’accès aux réseaux sociaux, soit rétabli
  • Re-confirmer publiquement votre engagement à maintenir l’Internet et à informer le public de toute perturbation
  • Encourager les fournisseurs de services de télécommunication et de l’Internet à respecter les droits de l’homme par le biais de la divulgation publique de politiques et de pratiques affectant les utilisateurs.

Nous sommes heureux de vous assister dans ces domaines.

Nous vous prions de bien vouloir agréer l’expression de nos salutations distinguées.  

ABCPN
Access Now
Africtivistes
The African Academic Network on Internet Policy
Afroleadership
ARTICLE 19 West Africa
Association Des Blogueurs Du Bénin
Association for Progressive Communications (APC)
Amnesty International
ASUTIC, Senegal
Centre for Impact Advocacy
CIPESA
Consortium of Ethiopian Rights Organizations ( CERO)
Doniblog – La communauté des blogueurs du Mali
FGI Bénin
Global Voices Sub Saharan Africa
IGBANET
Internet sans frontières
Internet Society Bénin
Mylène Flicka
NetBlocks
OpenNet Africa
Paradigm Initiative
Reporters Without Borders
Right2Know
#Sassoufit Collective
WITNESS
Youth4Internet
World Internet Labs France
World Wide Web Foundation

[1] An internet shutdown is defined as an intentional disruption of internet or electronic communications, rendering them inaccessible or effectively unusable, for a specific population or within a location, often to exert control over the flow of information. See more at <https://www.accessnow.org/keepiton>.
[2] Anita R. Gohdes, ‘Pulling the Plug: Network Disruptions and Violence in the Syrian Conflict’ (Journal of Peace Research: 31 January 2014) <http://www.anitagohdes.net/uploads/2/7/2/3/27235401/gohdes_synetworkaug14.pdf> accessed 24 March 2017.
[3] Jonathan Rozen, ‘Journalists under duress: Internet shutdowns in Africa are stifling press freedom’ (Africa Portal) 17 August 2017)   
<https://www.africaportal.org/features/journalists-under-duress-internet-shutdowns-africa-are-stifling-press-freedom/ >
[4] Darrell West, (Brookings Institution, October 2016) “Internet shutdowns cost countries $2.4 billion last year” https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/10/intenet-shutdowns-v-3.pdf
[5] CIPESA and Netblocks, ‘Cost of Shutdowns’ https://netblocks.org/cost/
[6] Peter Micek, (Access Now, 4 May 2015) ‘Internet kill switches are a violation of human rights law, declare major UN and rights experts’ https://www.accessnow.org/blog/2015/05/04/internet-kill-switches-are-a-violation-of-human-rights-law-declare-major-un
[7] UN Human Rights Committee (UN, July 2011) “General Comment No. 34” http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/GC34.pdf